Projet achevé : Phages: plus polyvalents qu’imaginé
Les phages tuent les bactéries, mais sont aussi susceptibles de propager une antibiorésistance au cours de ce processus. De nouvelles découvertes mettent en exergue les risques et les opportunités qui en résultent pour la médecine.
Des phages attaquent une bactérie (représentation).
Les bactériophages (ou phages en abrégé) sont des virus qui infectent et détruisent les bactéries. Des recherches sont menées depuis un certain temps afin de les utiliser spécifiquement pour lutter contre les infections bactériennes. Mais si les phages sont capables de détruire les bactéries, ils peuvent également transférer des gènes d’antibiorésistance d’une bactérie à l’autre: lorsqu’ils se multiplient à l’intérieur des bactéries ciblées, ils injectent leur propre matériel génétique dans de nouvelles particules virales, mais lui ajoutent aussi dans certains cas du matériel génétique issu de la bactérie hôte – lequel peut parfois être un gène de résistance. Si l’une de ces particules virales infecte une nouvelle bactérie, cette résistance peut alors lui être transférée. Ce mécanisme avait jusqu’alors été peu étudié eu égard à la propagation de l’antibiorésistance, et le rôle que les phages – organismes biologiques les plus nombreux sur Terre – jouent dans la transmission de la résistance aux antibiotiques entre les êtres humains, les animaux et l’environnement demeure par conséquent largement méconnu.
Les eaux usées: une malle aux trésors abritant une large variété de phages
A l’EPF Zurich, Elena Gomez Sanz et son équipe ont étudié ces mécanismes plus en détail et fait quelques découvertes surprenantes. L’hypothèse qui prévalait généralement jusqu’à présent était que des phages spécifiques étaient uniquement susceptibles d’infecter des bactéries spécifiques. On considérait donc que leur champ d’action était réduit et constituait de fait une barrière naturelle contre la propagation de matériel génétique et, par voie de conséquence, contre l’antibiorésistance. Si Staphylococcus aureus (l’espèce du genre la mieux connue) fait depuis longtemps l’objet d’études relatives à cette forme de transmission génétique, la recherche se concentrait principalement sur des échantillons provenant de la médecine humaine et l’identification de phages d’une pertinence clinique immédiate.
A l’inverse, Elena Gomez Sanz et son équipe ont cherché à inclure dans leur projet des phages naturels de staphylocoques aussi variés que possible. Les eaux usées, dans lesquelles les bactéries d’origine humaine et animale issues des ménages, de l’industrie et de l’agriculture pullulent en aussi grande variété que leurs phages, leur ont fourni un milieu d’étude de premier choix. Les chercheuses et chercheurs ont ainsi été en mesure d’isoler près d’une centaine de types de phages différents. Ils ont ensuite soumis près de 120 souches bactériennes incluant 29 espèces de staphylocoques à des tests de laboratoire afin de déterminer quelles étaient les bactéries infectées par ces phages.
Les phages attaquent plus de bactéries différentes qu’on le pensait
Contrairement aux postulats jusqu’alors en vigueur, il a été démontré que les phages pouvaient en moyenne attaquer non pas une, mais quatre espèces de bactéries. Les scientifiques ont observé de nombreuses combinaisons de cibles : les phages « partagés » peuvent ainsi globalement permettre à une espèce de staphylocoque d’échanger du matériel génétique avec 17 autres espèces. Ils ont également réalisé une expérience consistant à introduire un gène de résistance mobile précédemment absent dans l’une des bactéries testées et constaté que les phages l’avaient également incorporé dans de nouvelles particules virales. Ces résultats prouvent que les phages créent des connexions très ramifiées à travers lesquelles l’antibiorésistance peut se propager d’une espèce de bactérie à l’autre et dans l’ensemble de l’écosystème que constituent les êtres humains, les animaux et l’environnement. Ces connaissances revêtent une grande importance au regard de futures recherches sur la propagation de l’antibiorésistance. Elles soulignent parallèlement combien il est important que les phages soient éliminés efficacement lors du traitement des eaux usées.
Ces découvertes apparaissent également cruciales quant à l’utilisation des phages dans la lutte contre les bactéries pathogènes affectant les êtres humains. Le fait que les phages puissent avoir de nombreux hôtes permet de les employer plus facilement pour lutter contre de nombreuses bactéries différentes. Néanmoins, il convient de veiller parallèlement à ce que ces applications médicales n’entraînent pas la transmission involontaire de gènes de résistance. Les concepteurs de médicaments doivent donc veiller à prendre en considération les mécanismes de propagation exacts des phages utilisés à des fins médicinales.